Science-fiction : Solaris / Stanislas Lem /

   Le journaliste polonais Stanislas Lem, né en 1926, est devenu un des écrivains de science-fiction les plus célèbres du monde.
   Il commença à écrire à la Libération. Son premier ouvrage fut un roman fondé sur l’histoire de la Résistance polonaise : Le Temps ne fut pas perdu.
  Il écrivit ensuite : Le nuage de Magellan, une Invasion venue d’Aldébaran, Solaris, retour des Etoiles, L’Invincible, Ion, Le Voyageur interstellaire, Le Livre des Robots, ainsi que de très nombreuses nouvelles et des essais sur l’avenir de la science de la technique.
   Stanislas Lem est un homme de très haute culture. Aussi bien les mathématiques avancées que la cybernétique, que la physique théorique, que la biologie moléculaire lui sont parfaitement familières.
   Il est profondément pessimiste. Ce pessimisme peut évidemment être dû en grande partie à la situation politique en Pologne. Mais je pense qu’il s’agit d’un pessimisme beaucoup plus profond, intemporel. Lem est un homme à la recherche d’une religion, et je pense qu’il ne peut l’avouer, même à lui-même.
   Ce pessimisme, d’ailleurs, ne lui fait pas perdre son sens de l’humour. Un de ses livres est dédié par le petit texte que voici : « Personne ne m’a aidé à faire ce livre. Quant au gens qui ont essayé de m’empêcher de travailler, ils sont trop nombreux pour être tous cités. »
   Lem est certainement un des auteurs les plus graves, le plus profond de la science-fiction moderne. Il pose des problèmes essentiels, méritant la plus profonde réflexion.
   Voici ce qui est posé dans le livre que vous allez lire. La théorie moderne sur l’origine de la vie est celle-ci : dans les océans à la surface de la Terre, il s’est formé des substances préparant la vie est celle-ci : dans les océans à la surface de la Terre, il s’est formé des substances préparant la vie. C’est ce que le biologiste anglais J.B.S. Haldane a appelé une « soupe vivante » Cette « soupe vivante » s’est ensuite séparée en gouttelettes qu’on appelle les coacervats. Ces gouttelettes se sont ensuite transformées en cellules, et ensuite, dans un laps de temps comprenant des milliards d’années, se sont formés les organismes à plusieurs cellules, aboutissant finalement à l’homme.
   Lem suppose une planète où les coacervats ne sont pas séparés, mais où tout l’océan est devenu vivant, puis intelligent. Une telle intelligence nous dépasse, évidemment, comme nous-même dépassons en intelligence les virus et les bactéries. C’est cette planète imaginaire que Lem appelle Solaris.
   Solaris tourne autour d’une étoile autre que notre Soleil. Les hommes du futur la découvrent et constatent que c’est une planète qui corrige sa trajectoire autour de son étoile d’une façon qui prouve l’existence d’une haute intelligence. Ils débarquent à la surface de Solaris, installent des satellites artificiels et essaient d’abord de communiquer et ensuite de comprendre les activités du système intelligent, de l’océan intelligent, qui recouvre entièrement Solaris.
 
   Et ils constatent que ce problème de communication est extrêmement difficile. Des deux côtés, la bonne volonté ne manque pas. Mais la distance intellectuelle est énorme, plus grande encore que celle qui sépare l’homme du virus. A la fin du livre, le problème n’est toujours pas résolu. Mais, à travers une intrigue passionnante, le lecteur aura découvert les vraies difficultés de la communication, et il aura appris à réfléchir à beaucoup d’aspects de la vie qui, normalement, ne l’auront pas frappé.
   Car tous les problèmes sont essentiellement des problèmes de communication.
   Solaris est entièrement au-dessus des naïves histoires de la science-fiction, où l’on rencontre des extra-terrestres, et où on communique immédiatement avec eux. Il dépasse ces histoires, comme la machine destinée à débarquer dans la Lune, et qui par une curieuse coïncidence, s’appelle aussi LEM (Lunar Experimental Module) dépasse l’obus de Jules Verne.
   Tous les ouvrages de Lem posent des problèmes de ce genre, et proposent souvent des solutions extraordinaires.
   Lem est profondément sceptique sur le postulat fondamental, rarement exprimé, qui est à la base de toute science. Ce postulat est celui-ci : l’homme est capable de tout comprendre.
   Pour Lem, c’est inexact. On arrivera à rencontrer dans l’univers, et peut-être sur Terre, des évènements, des êtres et des objets absolument incompréhensibles parce qu’au-delà du rayon d’action de notre imagination.
   Lem rejoint là J.B.S. Haldane, qui a écrit : « L’univers est non seulement plus bizarre qu’il ne ‘paraît. Il est plus bizarre que tout ce que nous pouvons imaginer. » Des idées analogues ont été émises assez récemment par le savant français Pierre Auger.
   Je ne partage pas se point de vue. Je pense que l’homme peut tout comprendre dans l’univers, pour la seule raison que l’homme fait partie de l’univers, et qu’il le reflète. Mais je reconnais volontiers que ma pensée n’est pas une pensée scientifique, et qu’elle se rapproche davantage de la doctrine des signatures ou du principe des alchimistes – « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » - que de la science.
   Lem me paraît refléter le matérialisme naïf né du marxisme naïf.
   Si la pensée n’est qu’un mouvement de la matière dans un cerveau limité par définition par ses dimensions et par son organisation interne, elle doit fatalement rencontrer un jour des phénomènes qui exigent, pour être compris, un nombre de cellules nerveuses plus grand que celui que possède le cerveau, un nombre de connexions plus grand que celles que l’on peut introduire dans le plus grand des ordinateurs. Arrivée à ce point-là, notre pensée resterait à jamais impuissante, devant un univers incompréhensible et sans limites.
   Dans une de ses nouvelles, La Formule du Professeur Limfater, Lem nous montre un savant qui essaie de sortir de ses limitations en créant une intelligence qui n’est nie vie ni machine, et qui lui est supérieure. Mais il recule lui-même devant les conséquences de sa découverte.
  

   Personnellement, je pense qu’une étude d’un livre comme mon ouvrage Le Matin des Magiciens donnerait à Lem la clé des problèmes où il se débat.
   Mais ce livre est à ma connaissance interdit en Pologne, quoique publié en URSS et en Tchécoslovaquie.

                                                           Jacques Bergier (1970)