Science-fiction : 2001, l'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick

"2001, l'Odyssée de l'espace" (2001: A Space Odyssey) est un film anglo-américain réalisé par Stanley Kubrick en 1968. Le scénario s'inspire d'une nouvelle d'Arthur C. Clarke (La Sentinelle, 1951). Arthur C. Clarke, co-scénariste du film, a écrit le roman homonyme pendant le tournage. "2001, l'Odyssée de l'espace" retrace, à travers différentes époques, le rôle joué par une intelligence inconnue dans l'évolution de l'humanité. À l'aube de l'humanité, une tribu d'australopithèques est sur le point de disparaître, chassée de son point d'eau par une tribu rivale. Ils découvrent un matin un gigantesque monolithe noir dressé devant leur caverne. Après l'avoir touchée, ils ont soudain l'idée de se servir d'os comme armes et apprennent à tuer du gibier. C'est le premier acte de violence de la pré-humanité, il est suivi par une attaque du point d'eau où le chef du groupe rival est tué. Le film passe brusquement au XXe siècle. Heywood Floyd, un scientifique, se rend sur la Lune pour enquêter sur une trouvaille gardée secrète: Les équipes de la base de Clavius ont découvert dans le cratère de Tycho une anomalie magnétique due à un monolithe noir volontairement enfoui dans le sous-sol de la Lune quatre millions d'années plus tôt. 

Heywood Floyd touche le monolithe qui émet une puissante onde radioélectrique. En 2001, le vaisseau Discovery One part vers Jupiter. Son équipage se compose de deux astronautes, Dave Bowman et Frank Poole, de trois savants maintenus en hibernation, et de HAL 9000, un ordinateur doté d'une intelligence artificielle. Un jour, Bowman et Poole inspectent une pièce que HAL a signalé comme défectueuse mais ne trouvent rien d'anormal. L'ordinateur étant soi-disant infaillible, les astronautes s'inquiètent des conséquences et du bon déroulement de leur mission. HAL, qui les surveille à leur insu, apprend qu'ils envisagent de le déconnecter. S'estimant indispensable à la mission, HAL décide de se débarrasser de ses partenaires humains. Lors d'une sortie extravéhiculaire de Poole, il prend le contrôle de sa capsule et le projette au loin dans l'espace. Puis, profitant de l'absence de Bowman parti à son secours, il désactive les caissons d'hibernation des savants les condamnant à mort. Lorsque Bowman revient avec le corps de Poole, HAL lui refuse l'accès au Discovery One, lui disant qu'il met en péril la mission. Bowman lui réplique qu'il compte entrer par un accès de secours mais HAL lui dit que sans casque (parti en hâte, Bowman l'avait oublié), c'était impossible. Bowman ouvre l'écoutille et utilise le système d'éjection de sa capsule pour se propulser dans le vaisseau et rétablit la pressurisation. Il échappe ainsi de peu à l'hypoxie. Il se dirige vers le "centre nerveux" de HAL et désactive un à un ses blocs mémoires. Il découvre alors un message pré-enregistré de Floyd devant être diffusé à la fin du voyage relatant l'épisode lunaire et précisant que la mystérieuse onde radioélectrique était pointée vers Jupiter. 

Arrivé près de Jupiter, Bowman quitte le Discovery One à bord d'une capsule pour observer un gigantesque monolithe noir en orbite autour de la planète. Il est alors aspiré dans un tunnel coloré. Il voyage à une vitesse prodigieuse à travers l'espace, découvre d'étranges phénomènes cosmiques et des paysages extraterrestres aux couleurs étonnantes. Soudain, il se retrouve dans une suite de style Louis XVI où il se voit vieillir prématurément. Mourant, il veut toucher un monolithe noir qui apparaît devant lui. Il renaît alors sous la forme d’un fœtus entouré d'un globe de lumière et est téléporté dans l'espace... près de la Terre.Le monolithe noir est le symbole d'une puissance inconnue qui amène les technologies aux premiers pithécanthropes, mais ils les utilisent déjà pour se massacrer entre eux. La même histoire figure dans la Genèse (l'arbre de la connaissance) et le premier crime de l'humanité quand Caïn tue Abel. Puis, ce monolithe noir réapparaît sur la Lune et en orbite autour de Jupiter, tel un satellite artificiel, qui emmène l'astronaute dans un fabuleux tourbillon cosmique dans un voyage dans le temps. Il se voit vieillir et mourir puis il est téléporté dans l'espace et renaît... sur Terre.

"2001, l'Odyssée de l'espace" est-il un film de science-fiction ? Pour moi, c'est surtout une suite de messages enfouis dans une histoire comme la Bible. Le film a suscité beaucoup de commentaires. On l'a qualifié de fable pessimiste sur l'avenir de l'humanité, de méditation sur la solitude de l'Homme face au mystère insondable de l'Univers, de métaphore de la mort et du voyage vers l'au-delà. Personnellement, je n'ai jamais vu d'autres films posant autant de questions aussi profondes sur la vie, la mort (la vie après la vie), l'Univers, l'origine de l'humanité ou l'espace temporel.
Ainsi parlait Zarathoustra

Stanley Kubrick voulait concevoir "Docteur Folamour" tel un documentaire réalisé par des extraterrestres. Cette idée, abandonnée pour "Docteur Folamour", le poussa vers la science-fiction. Lorsqu'il a lu la nouvelle d'Arthur C. Clarke, "La Sentinelle", il décida de rencontrer son auteur en 1964. Pour réaliser ce film, Stanley Kubrick s'est entouré de spécialistes des effets spéciaux dont Harry Lange et Frederick Ordway, issus de l'industrie spatiale. Pour la salle de commande de Discovery One, l'équipe du film dut construire une centrifugeuse gigantesque pesant près de 30 tonnes. Kubrick s'est entouré de conseillers, tant dans le domaine des industries de pointe (l'hibernation, les cerveaux électroniques, l'astronautique, la paléontologie) et suppose l'hypothèse d'une intelligence extraterrestre ayant participé à l'évolution des humains. La première version du film prévoyait un prologue sous forme de documentaire fait d'interviews de scientifiques: le mathématicien Irving John Good et Isaac Asimov devaient évoquer les futures bases lunaires (après 1968). L'anthropologue Margaret Mead, les astronomes Fred Whipple et Bernard Lovell devaient évoquer la vie sur d'autres planètes hors du système solaire (les exoplanètes). D'autres devaient parler des manipulations génétiques ou du développement des ordinateurs "intelligents" dotés d'une "personnalité artificielle" (la conscience). Le physicien Freeman Dyson envisageait, lui, l'exploitation des comètes. Le monolithe noir est transparent comme du cristal dans le roman de Clarke. Mais il aurait été invisible à l'écran. Les bruits oppressants de respiration et le silence de l'espace est une réalité du vide spatial, cela n'avait jamais été fait avant, et ne fut jamais refait par la suite. Dans les films "spatiaux", le grondement des moteurs ou les explosions résonnent dans le vide de l'espace, ce qui est une aberration physique. Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke s'interrogèrent sur le fait de montrer ou non les extraterrestres, il ont finalement décidé de ne pas en montrer. Kubrick évacue donc les aliens répugnants, l'intervention des extraterrestres n'est clairement révélée, comme information "top-secret", qu'aux deux tiers du film.

Stanley Kubrick se demandait à quoi devait ressembler l'ordinateur HAL. Les robots des films de SF sont plus ou moins machiavéliques et dotés d'une voix métallique et monocorde. Kubrick a doté HAL 9000 d'une voix "humaine", l'acteur de théâtre canadien Douglas Rain (doublé en français par François Chaumette). L'œil de HAL pourrait correspondre à un intermédiaire entre l’Homme et "l’entité supérieure". HAL correspondrait -mais rien n'est moins sûr- au décalage alphabétique des lettres IBM, l'entreprise qui a participé à la réalisation du film. Dans la version française, l'ordinateur s'appelle CARL (Cerveau analytique de recherche et de liaison). La scène où HAL questionne Bowman sur sa motivation et ses craintes concernant leur mission, où Bowman demande à HAL si ces questions ont pour but de permettre à l'ordinateur de préparer un rapport psychologique, HAL hésite puis le reconnaît et s'en excuse. Les deux astronautes vont alors se méfier de HAL et celui-ci va chercher à les éliminer (l'ordinateur vient d'avoir la conscience de la mort). Il s'est produit un véritable changement dans l'attitude de la machine. HAL a hésité avant de répondre. Ceci n'est pas normal, une machine ne peut pas hésiter mais seulement calculer ou répondre rationnellement. La rupture est symbolisée par ce silence.

2001 suggère que des extraterrestres ont visité la Terre il y a quatre millions d'années, et qu'ils sont à l'origine de l'évolution artificielle du singe vers l'Homme. Ils ont laissé un émetteur sur la Lune et un relais en orbite autour de Jupiter. Les Hommes étant désormais capables d'atteindre la Lune, la "Sentinelle" en informe le relais autour de Jupiter devant lui-même informer les "Grands Anciens galactiques" du succès de l'opération. Des auteurs comme Erich von Däniken avaient imaginé que des extraterrestres étaient déjà venus, que c'était écrit dans la Bible (le Livre d'Enoch), ou Jacques Bergier (Le Matin des Magiciens, Les Extraterrestres dans l'Histoire) ou encore Jean Sendy auteur de la théorie selon laquelle la Genèse relaterait sous forme naïve la venue d'extraterrestres ayant façonné l'espèce humaine à leur image et laissé un "arc d'alliance" sur la Lune (Les dieux qui firent le ciel et la Terre) et même Hergé (Vol 714 pour Sydney) où Tintin visite un temple bâti par des extraterrestres. Jacques Bergier apparaît dans cet épisode. La grande roue orbitale de 2001 et sa gravité artificielle initiée par la force centrifuge a été envisagée par Wernher von Braun dans les années 1950. La navette empruntée par le savant Heywood Floyd est une quasi-copie de la capsule Apollo (Apollo 11 ira sur la Lune en 1969).


Stanley Kubrick laisse le spectateur libre de se faire une idée sur le sens du film, le scénario n'étant que de vagues allusions. Arthur C. Clarke le dit très explicitement, «Si vous dites que vous avez compris 2001, c'est que nous avons échoué, car nous voulions que le film pose plus de questions qu'il ne donne de réponses...» 2001 suscite une angoisse métaphysique et cosmique: La naissance de l'humanité sous la tutelle d'une puissance qui, comme dans la Genèse, donne lieu au premier meurtre, la mort de l'entité consciente HAL 9000, la métaphore de l'être face au néant, la descente de "l'enfant des étoiles" auréolé vers la Terre. Le voyage de David Bowman dans le "tunnel" rappelle fortement les NDE décrits par Raymond Moody. La scène finale dans cette suite d'hôtel totalement improbable évoque la relativité du temps (la Relativité Générale d'Einstein).
 
Le compositeur Alex North avait été retenu pour écrire la musique. Kubrick avait déjà sélectionné les musiques additionnelles et mit la pression sur le compositeur. Enfermé de décembre 1967 à janvier 1968 dans un appartement de Londres spécialement aménagé, il en sortit en ambulance pour livrer une partition d'environ 40 minutes. Tout ça pour rien, Kubrick choisit finalement des musiques non originales. North n'en fut pas informé, il le découvrit lors de l'avant-première à New York. Stanley Kubrick avait initialement choisi la Symphonie nº 3 en ré mineur de Gustav Mahler comme musique principale (dans le 4e mouvement, une voix de contralto chante un texte de Friedrich Nietzsche: "Ainsi parlait Zarathoustra"). En 1967, il écouta une version de "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss enregistrée par l'orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Herbert von Karajan. Au cours de la postproduction, Kubrick remplaça discrètement l'enregistrement par celui de Karajan et personne ne le remarqua.

Il n'est pas possible d’aborder toutes les facettes de "2001, l'Odyssée de l'espace", toute sa richesse, toutes les interprétations possibles. Tout est impalpable, abstraction, esthétique et symbolisme. Voici ce que déclara Stanley Kubrick: «J'ai essayé de créer une expérience visuelle, qui contourne l'entendement et ses constructions verbales, pour pénétrer directement l'inconscient avec son contenu émotionnel et philosophique. J'ai voulu que le film soit une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur à un niveau profond de conscience... Vous êtes libres de vous interroger tant que vous voulez sur le sens philosophique et allégorique du film, je ne veux pas donner une grille de lecture précise pour 2001 que tout spectateur se sentirait obligé de suivre de peur de ne pas en saisir la signification...» On peut s'interroger en effet.


Le premier résultat de l'intelligence est l'invention d'une arme et un meurtre. Les personnages sont singulièrement inactifs: les astronautes sont totalement sous le contrôle d'un ordinateur. La fin du film, est-ce la préfiguration d'un dépassement de l'espèce humaine (ce que suggère "Ainsi parlait Zarathoustra") ? D'une évolution ? D'autre chose ? Kubrick a poussé la précision et le réalisme à un point qui ne s'était encore jamais vu dans un film de science-fiction. Il aurait détruit toutes ses maquettes avant de proclamer: «Si d'autres veulent faire un film plus réaliste, il faudra qu'ils aillent le tourner sur place...» Dans "2001, l'Odyssée de l'espace", le singe pré-humain lance en l'air le premier outil de l'humanité, un os s'élevant sur la musique de Richard Strauss puis retombant sur la musique de Johann Strauss (antérieur au précédent) et se transforme en satellite lanceur d'engins nucléaires flottant dans l'espace. Les deux outils, l'os passant rapidement au lanceur d'engins nucléaires, évoquent les millions d'années de l'évolution de l'Homme ne représentant qu'une fraction de seconde. Cette évolution n'est qu'une transition qui a permis à l'homme de passer des premières inventions à la marche sur la Lune où l'on découvre le monolithe. L'Homme évolue dans 2001 par "paliers" successifs.

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"2001: A Space Odyssey" ("2001, l'Odyssée de l'espace") - Réalisation: Stanley Kubrick - Scénario: Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke (d'après les nouvelles d'Arthur C. Clarke, "À l'aube de l'Histoire" et "La Sentinelle") - Musiques: Richard Strauss (Ainsi parlait Zarathoustra), Johann Strauss (Le Beau Danube bleu), György Ligeti (Requiem, Lux Aeterna Atmosphères et Adventures) et Aram Khatchaturian (Adagio du ballet Gayane) - Durée: 156 mn (version originale), 139 mn (version définitive) - Sortie aux États-Unis: 2 avril 1968 à Washington DC, en France: 27 septembre 1968. Voir aussi : Pierre Boulle - Les jeux de l'esprit